Musée de la photo à Charleroi : Hana Jakrlova

Hana Jakrlova

Big Sister

29.9.07 > 13.1.08

Récent avatar de la galaxie télévisuelle et du «sex-business», Big Sister est une maison de passe de haut de gamme, virtuelle autant que réelle, située au centre de Prague.
Pour un tarif étonnement bas, les clients peuvent y satisfaire leurs désirs avec de charmantes pensionnaires dans des chambres aux décors thématiques. Ils doivent en contrepartie signer une convention autorisant la direction à filmer leurs ébats et à les diffuser sur le site Big Sister vers des milliers d’internautes, lesquels choisiront une version live ou des extraits classés selon les « spécialités », déployées en menu.

Lieu autrefois tenu confidentiel, voire clandestin, le bordel trouve ici paradoxalement à s’ouvrir au plus grand nombre et le client, payant de sa personne, à se dévoiler autant que sa partenaire. Loin de l’ombre complice, c’est à la lumière des projecteurs que s’effectuera l’acte sexuel, sous le regard croisé de caméras disposées aux angles propices et le contrôle de téléviseurs qui permettront au couple de se contempler dans l’action, en corrigeant leur dispositif : étrange jeu de rôle où la caméra et le moniteur ont remplacé le miroir et où l’acteur – voyeur contemplant ses ébats est lui aussi épié par des milliers d’yeux invisibles, l’acte le plus intime étant accueilli par autant de « clics ».

L’on se souviendra de Loft Story et de ses ersatz, lieux clos filmés en temps réel, où d’anonymes prétendants à la gloire livraient en direct le spectacle de leur vacuité et de leur ennui devant un public attendant qu’il se passe enfin quelque chose : les espaces réservés, bien que peu nombreux, n’étaient pas équipés de caméras et les rares ébats convenus, filmés à l’infrarouge, ne trouvaient pas à satisfaire le voyeur peu payé de sa patience. Il trouvera assurément son compte dans Big Sister, l’acte sexuel étant filmé sans coupure ni montage, en temps réel, ce qui suffirait à le distinguer des productions pornographiques lesquelles obéissent aux règles de la construction cinématographique, si sommaires soient-elles ; le « repos du guerrier » est ici performance, le volontaire se devant d’assurer au mieux une prestation sur laquelle il sera jugé, trouvant aussi à revoir ses exploits dans un film souvenir pour le moins particulier.
C’est avec distance et humour qu’Hana Jakrlova a photographié cette maison close du 21ème siècle : toute provocation ou voyeurisme sont bannis de ces photographies dont l’angle de vue soigneusement sélectionné ne dévoile que des fragments des corps accouplés pour mieux révéler l’omniprésence des caméras et des moniteurs devenus les espions silencieux et implacables de notre quotidien, le plus souvent sans notre consentement ; humour aussi car des accessoires qui garnissent les chambres en autant de thèmes, l’Enfer, le Paradis, la chambre d’amour, le Pôle Nord, il ne reste, les acteurs en allés, qu’un décor de bazar au kitsch bon marché comme cet ours polaire au regard vide fixant une éternelle banquise en plastique ou ces caméras à peine masquées dans les fleurs artificielles. L’on n’est plus ici dans le décor sordide des maisons d’abattage ou dans le luxe fin de siècle façon Chabanais : c’est un studio éclairé comme un plateau de cinéma qui attend le visiteur, ouvert à qui prétend à ce «quart d’heure d’éternité ». Loin de la fascination exercée de tous temps par le bordel sur les photographes, sans jugement moralisateur sur la nature du client ou la condition de sa partenaire, Hana Jakrlova a choisi de montrer la réalité la plus nue d’une nouvelle ère du commerce sexuel, un jeu télévisuel où, sous la lumière des projecteurs, chacun entend jouer pleinement son rôle.

Xavier Canonne, Directeur

Site du Musée de l'Architecture